02-2014 Actualités NIGER







Article consacré au Niger, Laurent Touchard revient sur l'Histoire mouvementée du pays, depuis son indépendance en 1960.
Sans entrer dans le détail de l'Histoire mouvementée du Niger depuis son indépendance le 3 août 1960, il est impossible de passer sous silence la longue gestation de la démocratie dans le pays car les militaires y sont étroitement liés. Un interminable accouchement tout au long duquel se succèdent les coups d'État et les règnes irresponsables de despotes peu éclairés. Ces putschs et "révolutions de palais" ne doivent pas uniquement au sens du devoir des uns et des autres, mais d'abord aux rivalités et à la soif du pouvoir. Aussi bien de militaires que de civils.


Durant des décennies, au fil de ces atteintes à la démocratie, les libertés sont souvent bafouées, les arrestations arbitraires sont monnaie courante... Pour ne rien arranger, le pays connaît deux insurrections nomades (pas uniquement touarègues) : en 1990 et en 2007. Celle de 1990 est latente depuis environ cinq ans quand elle explose finalement, en mai 1990, avec l'attaque du poste des Forces de Défense et de Sécurité (FDS) de Tchin Tabaradene. Les représailles sont meurtrières : plusieurs centaines de nomades sont victimes d'exactions. Les hostilités prennent fin entre 1995 et 1998, mais elles ont laissé des blessures profondes dans les sociétés du Nord.

Durant les années qui suivent, les ex-rebelles estiment que les engagements pris par les autorités ne sont pas respectés. Ils se considèrent lésés : selon eux, ils ne reçoivent pas les bénéfices promis de l'extraction de l'uranium, ressource naturelle principale du Niger. L'insurrection se réveille alors entre le printemps et l'été 2007. Une fois encore, les violences s'accompagnent de leur cortège de crimes commis par tous les protagonistes. Les FDS mènent une guerre impitoyable aux nomades. Les civils doivent fuir dans le désert, en proie à la soif et à la faim. Les chameaux sont abattus, les troupeaux massacrés. Militaires et paramilitaires paient aussi un lourd tribut : en 2008, officieusement, plus de 160 d'entre eux ont été tués. Les nomades posent des mines qui tuent aveuglément.
La révolte touarègue au Nord-Mali n'a pas d'effet direct sur les communautés nomades du Niger qui sont lasses de la guerre.
Finalement, grâce à la médiation de la Libye, la rébellion s'assoupit en 2009. Les populations, qui ont beaucoup souffert, sont désormais lasses de la guerre. C'est une des raisons qui explique qu'en 2012, la révolte touarègue au Nord-Mali n'a pas d'effet direct sur les communautés nomades du Niger. La plupart des membres de celles-ci estiment que le recours aux armes est seulement synonyme de mort, de destructions et de misère. Sentiment que renforce la peur des FDS, héritage des exactions du passé.

Nouvelle Constitution

Le 25 novembre 2010, une énième Constitution est promulguée. C'est l'avènement de la VIIe République (sept en cinquante ans !). République qui doit, paradoxalement, son existence à un coup d'État militaire. Le 18 février 2010, Salou Djibo, à la tête de la compagnie de commandement d'appui et de soutien de Niamey, renverse le Président Mamadou Tandja. Élu en 1999, reconduit dans ses fonctions en 2004, Tandja manœuvre politiquement afin de prolonger de trois ans son mandat et d'être autorisé à en briguer un nouveau. Ce, alors que la Constitution en vigueur ne le lui permet pas.
Le putsch qui survient – le quatrième de l'Histoire du Niger - sauve la démocratie. Ses auteurs donnent rapidement des gages de bonne volonté, plébiscités par un grand nombre de citoyens. Un Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) est mis en place afin d'assurer la transition. Des élections sont organisées. Le 12 mars 2011, au second tour du scrutin, Mahamadou Issoufou est élu chef de l'État. Son investiture se déroule un peu moins d'un mois plus tard, le 07 avril 2011. L'action des militaires est contestable ; néanmoins, elle survient dans un contexte où celui censé être l'expression de la démocratie – en l'occurrence, le chef d'État élu -  ne respecte pas la règle du jeu ; à savoir, la Constitution. Toute proportion gardée, le parallèle peut être établi avec l'attitude de l'armée lors de la Révolution des jasmins en Tunisie. L'armée refuse de tirer sur les manifestants permettant ainsi au changement politique de s'opérer.
Un présent apaisé ?
Il n'en reste pas moins qu'en Tunisie, le changement n'a pas été amené par l'armée. La nuance est importante... Cet atavisme du putsch, il faudra des décennies avant d'avoir l'assurance que les FDS de la VIIe République n'en sont plus malades. Or, rien n'est définitivement gagné : ainsi, une tentative de coup d'État échoue dans la nuit du 12 au 13 juillet 2011. Si elle est à l'évidence mal préparée, l'intention est là. Mahamadou Issoufou n'occupe alors ses fonctions que depuis quelques semaines !
Les FDS de la VIIe République paraissent enfin apaisées.
Actuellement, les FDS de la VIIe République paraissent enfin apaisées. La Constitution de 2010 semble bien bâtie, susceptible d'être auto-protégée contre toute crise institutionnelle. À condition toutefois que ceux qui en jouent la partition sachent en lire les notes... Par ailleurs, le Président Issoufou, malgré des erreurs, s'impose comme digne de la fonction qu'il occupe, incontestable chef des armées.
Ces dernières bénéficient de la professionnalisation croissante des effectifs qui favorise cet état d'esprit. Les programmes de coopération militaire et de formation initiés par les États-Unis et la France n'y sont pas pour rien. Dans le même temps, se réduit le fossé qui s'était créé durant cinquante ans entre les FDS et les citoyens. Pour cela, tout un travail de "réconciliation" est mené. L'accent est mis sur les relations publiques (un musée des armées est créé en juin 2013), la promotion des militaires est faite au travers leur rôle social... Les forces de sécurité apprennent a priori à être une institution au service de l'État et de tous les Nigériens.

Ou... un avenir asthmatique ? 

Néanmoins, tout n'est pas parfait, en particulier entre l'institution militaire et les communautés nomades. Certes, les membres de ces communautés peuvent exercer des responsabilités politiques. Les initiatives se multiplient pour encourager les études et la perspective de carrière administratives civiles intéressantes grâce à l'école et à l'université (plutôt que grâce au fusil d'assaut et à la rébellion). Mais, au sein des Forces armées nigériennes (FAN), les choses évoluent difficilement. L'avancement des cadres nomades est plus lent. De plus, les désertions de nomades survenues au sein de l'armée malienne début 2012 incitent les FAN à se méfier de ceux qui servent dans ses rangs. Ce désenchantement des soldats nomades fait écho à celui de leurs communautés d'appartenance qui se désespèrent de ne pas beaucoup profiter d'un développement économique pourtant promis.
En outre, la présence de plus en plus importante de troupes étrangères n'est pas vécue de manière égale par tous les personnels des FDS. Il est vrai qu'une majorité d'entre eux apprécient les équipements obtenus grâce à Paris et à Washington. Ils apprécient l'appui considérable que représentent les vecteurs ISR basés à Niamey, permettant de déjouer les infiltrations des terroristes-bandits. Les services de renseignement ont une bonne coopération inter-étatique, tandis que les rapports sont cordiaux entre les conseillers militaires (Américains ou Français) et leurs "élèves" des FDS. Enfin, ils apprécient ce qu'ils gagnent en professionnalisme. De plus la plupart des cadres n'ignorent pas la responsabilité qui pèse sur eux : défendre la paix dans le pays face à une multitude de dangers. Ils savent que l'idée d'engranger suffisamment de succès dans la durée contre les terroristes-bandits, pour parvenir à long terme à les éradiquer, est illusoire sans les États-Unis et sans la France.
Pourtant, en dépit des dénégations du ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique, Massoudou Hassoumi, certains officiers, sous-officiers et soldats se montrent critiques à l'encontre de la politique de défense du Président Issoufou. Ils estiment que celui-ci ne fait pas assez confiance aux FDS. Selon eux, le dirigeant sous-traite la protection du pays aux étrangers, toujours plus nombreux. Ils arguent qu'avec ce choix, le chef d'État bafoue la souveraineté du pays. À cette réprobation de la politique de sécurité s'ajoutent une crispation de la vie politico-sociale : accusations d'incitation à la haine ethnique portée contre Massoudou, interpellations de journalistes et d'opposants en janvier 2014 (libérés depuis), tirs contre la résidence du Président de l'Assemblée nationale (qui lui-même dénonce la politique de sécurité et de coopération du Président de la République).

La sédition, cette maladie chronique des FDS.

Si ce murmure n'est que le fait d'une minorité des FDS, c'est une erreur de nier ou d'ignorer son existence. Cela ne peut que renforcer les arguments de ceux qui en sont la cause. Surtout que leur murmure est entendu par beaucoup de citoyens. Nous l'avons évoqué : dans un pays où règne la misère, l'augmentation sensible des dépenses de défense aux dépends de l'éducation tandis que le développement économique tarde à se matérialiser, n'est pas nécessairement bien perçue. De murmure, il devient bruit. Bruit susceptible d'encourager quelques esprits aventureux à la sédition, cette maladie chronique des FDS. Rappelons qu'entre 1992 et 2002, pas moins de huit mutineries militaires ont eu lieu. Celle de 2002 se termine au prix de 8 morts et 253 arrestations... Rappelons également le coup d'état avorté de juillet 2011...
Un peu d'asthme mal traité peut avoir des conséquences catastrophiques. Aujourd'hui, le Niger toussote. À chaque fois que cela se produit, les FDS sont contaminées. Dès lors, les deux années qui conduisent à l'élection présidentielle de 2016 feront office de test quant à l'attitude de l'armée et des forces de sécurité...




 
© AFP 

Dans un contexte régional miné par le terrorisme et confronté aux conséquences sociales de la quasi absence de développement économique, le Niger est aujourd'hui confronté à d'immenses défis dont la réussite à pour enjeu le maintien de la paix sur le territoire.  
* Laurent Touchard travaille depuis de nombreuses années sur le terrorisme et l'histoire militaire. Il a collaboré à plusieurs ouvrages et certains de ses travaux sont utilisés par l'université Johns-Hopkins, aux États-Unis.
Au cours de l'opération Serval, les troupes françaises et africaines anéantissent l'essentiel du potentiel militaire des islamistes et des djihadistes qui tenaient le Nord-Mali depuis la mi-mai. Pour autant, cette victoire ne signifie pas la fin de l'insécurité au Sahel. En effet, la capacité de nuisance des groupes armés divers est résiliente. Elle se nourrit des moindres problèmes des pays dans lesquels elle survit. Défaut de structures administratives, déshérence(s) de la jeunesse sans avenir, méfiance vis-à-vis d'autorités peu ou pas (ou plus) reconnues, sentiment de rejet de certaines communautés, lenteurs ou inexistence du développement économique, peur des forces de sécurité locales en raison d'exactions commises par le passé, jalousies inter communautaires et, bien sûr, insécurité...


Autant de vulnérabilités qui existent au Niger. Certes, leur réalité est parfois sans fondement. Ou du moins, à des degrés divers. Cependant, ce qui importe au final, c'est la perception qu'ont les populations locales : ce qu'elles considèrent comme leur réalité de vie. Quels que soient lesdits efforts, si cette perception est mauvaise, alors les failles deviennent des gouffres. De fait, l'État nigérien livre un difficile combat contre les fragilités du pays. Conscient que l'approche globale est indispensable, en dépit de ressources limitées, le Niger s'applique à promouvoir le développement économique et social sur un territoire en paix. Contexte dont la pérennité tient à la qualité des Forces de défense et de sécurité (FDS) et à la politique qui préside à leur mis en œuvre.
Cette brève étude se propose de présenter cette politique et les défis auxquels elle est confrontée.

Tumultes et remous

Le Niger se tient aujourd'hui sur des terres sahéliennes où fourmillent les dangers.
Le Niger se tient aujourd'hui sur des terres sahéliennes où fourmillent les dangers. Ainsi, au Nord, le sud-libyen représente-il une zone dont le gris s'assombrit de plus en plus. De là, les terroristes-bandits rayonnent sur toute la région sahélienne. À l'ouest, au Mali, les ombres d'Aqmi et du Mudjao tardent à s'estomper. Au Sud, Boko Haram met à feu et à sang toute une partie du Nigéria. Des périls multiples pour une stabilité péniblement acquise pendant cinquante-quatre ans. Pour ne rien arranger, malgré quelques avancées, les conditions de vie des Nigériens sont mauvaises. Selon la Banque mondiale, le salaire brut moyen est de 31 dollars par mois... Plus de 80 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour.


La recrudescence du terrorisme entre 2003 et 2011, le conflit malien en 2012, tarissent l'argent qu'amenaient les activités touristiques. Ces crises accentuent la pauvreté des communautés nomades qui bénéficiaient auparavant de cette ressource. L'arrivée d'environ 200 000 Nigériens qui travaillaient en Libye et contraints à "l'exil chez eux", après la chute de Kaddafi, déséquilibre un peu plus l'économie nationale. Ces civils ne sont pas les seuls à avoir regagné le Niger. Quelques centaines d'hommes qui combattaient au profit du "guide" libyen ont fait de même. Si les plus lourdement équipés ont été désarmés, quelques-uns sont nécessairement passés à travers les mailles du filet. Ils ont rejoint les ex-combattants des rébellions de 1990 et 2007 (jusqu'à 4 000 hommes selon les sources) toujours armés. S'ajoutent des jeunes désabusés. Ceux-ci rêvent de retrouver une fierté qu'ils croient volée par un État qui les mépriserait. Une fierté qu'ils croient volée par des représentants communautaires qui seraient tous plus intéressés par leurs intérêts personnels, achetés à coups de billets et de postes à responsabilités, par l'État qu'ils affrontaient autrefois.

L'approche globale de l'État malien 

Malgré tout, le risque d'une insurrection nomade est moins prégnant qu'au Mali. Si, au sein des Forces armées nigériennes (FAN) l'intégration de ces nomades est complexe, dans les autres institutions, aussi bien nationales que locales, elle est globalement réussie. Cette philosophie, le Président Mahamadou la met en œuvre avec détermination. Il s'y est attaché aux premiers jours de son mandat, en nommant Brigit Rafini, un Touareg, au poste de  Premier ministre. Il est vrai que la répartition des nomades sur le territoire, bien plus prononcée qu'au Mali, facilite les choses. Les tentations indépendantistes en sont d'autant plus affaiblies que les deux insurrections ont profondément meurtri les populations du Nord, désormais peu enclines à soutenir une éventuelle aventure armée.
L'enjeu consiste notamment à restaurer une sécurité totale dans le Nord afin d'y permettre à très long terme le retour des touristes
Cela n'est pas un hasard si l'un des grands programmes dans la logique de l'approche globale est justement mené par la Primature. Il s'agit d'en confier la responsabilité à celui qui représente les populations nomades, à savoir Brigit Rafini. Ce programme, la Stratégie de développement et de sécurité (SDS), est lancé le 1er octobre 2012. Axé, comme son nom l'indique, sur le développement et la sécurité, il bénéficie d'un budget non négligeable de 2,6 milliards de dollars sur cinq ans. Grâce à lui, 3 810 agents de police ont été recrutés et six nouvelles unités mobiles de surveillance des frontières (garde nationale) ont été organisées. L'enjeu consiste notamment à restaurer une sécurité totale dans le Nord afin d'y permettre à très long terme le retour des touristes et de la manne financière qu'ils représentent. Un travail de longue haleine, oui. Mais l'avoir entamé, c'est lui donner une chance d'aboutir un jour.

Fort de cet état d'esprit volontaire, le Niger se dote également d'une loi anti-terroriste le 27 janvier 2011. Mais avant cela, après quelques atermoiements au cours de l'année 2010, les autorités acceptent finalement l'implantation de militaires étrangers (nous reviendrons sur la coopération en matière de défense dans un futur billet) dans le pays. Sur ce point plus que sur n'importe quel autre, le Président Mahamadou Issoufou se montre courageux. En autorisant l'installation durable d'Américains et de Français, il prête le flanc à ses détracteurs les plus virulents. Ceux-ci comptent d'une part des représentants politiques qui lui reprochent d'agir de manière non-constitutionnelle. D'autre part, certains militaires considèrent que la souveraineté nationale est bafouée. À leurs critiques se greffe le discours – non sans fondement – de ceux qui redoutent que le Niger paie au prix du sang son engagement contre le terrorisme, devenant une cible toute désignée. Les attentats du 23 mai 2013, à Agadez et à Arlit, confirment leurs craintes.
Face à ces préoccupations, Issoufou se veut pragmatique : sans aide extérieure importante, la souveraineté du Niger n'est qu'un mot. L'exemple du Mali lui donne raison. Par ailleurs, contrairement aux allégations des Zoïles, il ne brade pas non plus la sécurité de son pays, en augmentant les crédits alloués aux FDS. Le poids des dépenses de défense

En 2010, le budget de la défense est d'environ 46 millions de dollars. Un an plus tard, il passe timidement à 50 millions de dollars. Mais, tout change en 2012 ; il bondit à 72 millions de dollars pour 2012-2013. Le 06 mai 2013, une loi rectificative l'augmente encore d'au moins 37 millions de dollars. Il grimpe alors à plus de 100 millions de dollars. Cette somme s'explique par la nécessité de couvrir les frais du déploiement au Mali. Pour 2014, le budget est estimé à... 200 millions de dollars. C'est-à-dire qu'il a quadruplé en l'espace de quatre ans. Ce bond des dépenses s'explique aussi : il permet  l'achat et l'entretien des deux avions d'attaque Su-25, la modernisation et le maintien en bonne condition opérationnelle des forces (acquisition de pièces de rechange, d'équipements divers, de munitions, de carburant). Il permet également la revalorisation des salaires des personnels des FDS...

Même si elle se justifie, il s'agit d'une somme énorme par rapport au budget global d'environ 3,8 milliards de dollars. Pour mémoire, le chiffre d'affaire d'Areva en 2012 est de 9,7 milliards de dollars ; en dollar constant 2014 – avec, toutefois, une dette de 4,5 milliards de dollars à l'été 2013. Mentionner ces chiffres n'est pas anodin : nous le constaterons plus loin. Dans l'immédiat, revenons à ces crédits de défense. Ils représentent autant d'argent que ne reçoivent pas les autres ministères. D'où un déséquilibre qui s'accentue depuis 2012. Cette année-là, il était prévu de consacrer 25 % du budget à l'Éducation, 10 % à la Santé. Évidemment, l'accroissement des crédits de défense l'empêchera.


Ces dépenses, elles sont indispensables. Certes, elles grèvent le développement économique. Cependant, sans la sécurité, point de développement économique non plus. Or, les menaces pour la paix du Niger sont nombreuses. Nous l'avons évoqué plus haut : terroristes-bandits au Mali et dans le sud de la Libye, Boko Haram au nord du Nigeria, bandits et trafiquants à l'intérieur des frontières,  nomades revenus de Libye après la chute de Kadhafi, ex-rebelles ou héritiers de rebelles de 1990 et 2007... C'est dans cette atmosphère pesante que se déroule la renégociation des accords financiers quant à l'extraction de l'uranium national par la société française Areva (via ses filiales locales).

Intérêts et responsabilité géopolitique

Les discussions à propos de la convention d'extraction du minerai commencent en 2013. Elles engageront les partenaires pour dix nouvelles années. Prévue pour le 31 décembre 2013, la signature n'est toujours pas apposée sur le papier un mois plus tard. Elle le sera probablement fin février 2014, non sans mal. Pourquoi la machine des négociations s'est-elle grippée à ce point ? Tout simplement parce qu'Areva refuse de se plier à une loi nigérienne de 2006, selon laquelle les taxes sur le minerai d'uranium augmentent de 5,5 % à 12 %. Omar Hamidou Tchiana, ministre des Mines, explique à Reuters qu'en 2012, les bénéfices de l'uranium ne constituent que 5 % du budget national. Or, le Niger souhaite que ceux-ci augmentent à 20 %. Cet apport contribuerait évidemment beaucoup à financer les dépenses de sécurité.
Areva rejette l'idée de cette taxe, estimant que le coût d'extraction serait alors trop élevé. Elle argue, en outre, qu'elle investit beaucoup dans des projets locaux : développement économique, santé, éducation, à hauteur de 8 millions de dollars annuels. Il n'en reste pas moins qu'à Arlit, en-dehors des installations ultra-sécurisées du groupe, la misère règne. Cela, c'est une des réalités perçues par les Nigériens... De plus, la société est accusée d'utiliser les infrastructures routières sans contribuer à leur coûteux entretien...

La signature de la convention d'extraction fin février 2014 devrait enfin remettre les choses en ordre.
Dès lors, ceux (dont les djihadistes) qui désignent Areva – et par extension, la France - comme le mal absolu ont beau jeu. Areva pollue le sol nigérien tout en exploitant sans vergogne des ressources dont les bénéfices échappent au pays... Le poids financier de l'exploitation repose sur le Niger qui n'en retire rien... La protection des installations, où vivent des Français avec l'air conditionné, saigne l'économie du pays... Le Niger doit payer la guerre qu'il mène à des Musulmans pour que les Français pillent ses richesses... Autant de propos sans nuance, mais qui reposent sur une réalité perçue, trouvant facilement écho auprès d'une population écrasée par la pauvreté. Intérêts économiques privés et responsabilité géopolitique ne feraient-ils pas toujours bon ménage ? Quoi qu'il en soit, l'État français, actionnaire à plus de 80 % d'Areva a finalement pris position sur ce dossier. Par la voix de Pascal Canfin, ministre délégué au Développement, a été déclaré devant l'Assemblée nationale française que les attentes de Niamey sont "(…) considérées par ce gouvernement (…) comme légitimes." Il était temps.

La signature de la convention d'extraction fin février 2014 devrait enfin remettre les choses en ordre. Cet accord sera d'une importance considérable. Contrairement à ce qu'affirment de nombreux observateurs, l'enjeu n'est pas uniquement la réélection du Président Issoufou en 2016. Le problème est beaucoup plus vaste. Dans tous les cas, il ne s'agit pas de soutenir un Président devant ses électeurs, mais de soutenir le Niger face aux dangers actuels et futurs. De soutenir sa politique de sécurité responsable, dans laquelle s'inscrit la coopération avec la France et les États-Unis. Démarche qui ne se résume pas à l'implantation de bases, à la traque de terroristes-bandits avec la technologie "à distance", ou à la fourniture de 4x4, de GPS et de gilets pare-balles, mais qui passe aussi par le respect de la dignité de cet État, de ses citoyens. D'autant que cette politique de sécurité intelligente peut, de bien des manières, servir d'exemple à suivre pour le Sahel.

NB : Une fois n'est pas coutume, j'attire l'attention des lecteurs sur le numéro 5 du magazine Air Combat, à paraître. 
Vincent Bernard y aborde la question des différents incidents aériens survenus tout au long des années 1970 et 1980 dans le Golfe de Syrte entre d'une part, les États-Unis et la France, d'autre part, la Libye. Cette page de l'histoire militaire africaine est relativement oubliée et l'article de notre confrère apporte un éclairage intéressant (et fort compréhensible pour le profane).
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Retrouver tous les articles du blog défense de Laurent Touchard sur J.A.







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